Page:Musset - Premières Poésies Charpentier 1863.djvu/11

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Lui, bâillant à moitié : « Par Dieu ! c’est l’Orvado,
Dit-il, la Juana, place San Bernardo. »

Dieu fit que don Paez l’entendit, et, la fièvre
Le prenant aux cheveux, il se mordit la lèvre.
« Tu viens là de lâcher quatre mots imprudents,
Mon cavalier, dit-il, car tu mens par tes dents !
La comtesse Juana d’Orvado n’a qu’un maître ;
Tu peux le regarder, si tu veux le connaître.
— Vrai ? reprit le dragon ; lequel de nous ici
Se trompe ? Elle est à moi, cette comtesse, aussi.
— Toi ? s’écria Paez ; mousqueton d’écurie,
Prendras-tu ton épée, ou s’il faut qu’on t’en prie ?
Elle est à toi, dis-tu ? Don Étur, sais-tu bien
Que j’ai suivi quatre ans son ombre comme un chien ?
Ce que j’ai fait ainsi, penses-tu que le fasse
Ce peu de hardiesse empreinte sur ta face,
Lorsque j’en saigne encore, et qu’à cette douleur
J’ai pris ce que mon front a gardé de pâleur ?
— Non ; mais je sais qu’en tout, bouquets et sérénades,
Elle m’a bien coûté deux ou trois cents cruzades.
— Frère, ta langue est jeune et facile à mentir.
— Ma main est jeune aussi, frère, et rude à sentir.
— Que je la sente donc, et garde que ta bouche
Ne se rouvre une fois, sinon je te la bouche
Avec ce poignard, traître, afin d’y renfoncer
Les faussetés d’enfer qui voudraient y passer.
— Oui-da ! celui qui parle avec tant d’arrogance,
À défaut de son droit, prouve sa confiance ;
Et quand avons-nous vu la belle ? Justement
Cette nuit ?

Cette nuit ? — Ce matin.