Page:Musset - Premières Poésies Charpentier 1863.djvu/13

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Comme il disait ce mot, il mit la dague au vent.

Comme on voit dans l’été, sur les herbes fauchées,
Deux louves, remuant les feuilles desséchées,
S’arrêter face à face et se montrer la dent :
La rage les excite au combat ; cependant
Elles tournent en rond lentement, et s’attendent ;
Leurs mufles amaigris l’un vers l’autre se tendent.
Tels, et se renvoyant de plus sombres regards,
Les deux rivaux, penchés sur le bord des remparts,
S’observent ; — par instants, entre leur main rapide,
S’allume sous l’acier un éclair homicide.
Tandis qu’à la lueur des flambeaux incertains,
Tous viennent à voix basse agiter leurs destins,
Eux, muets, haletants vers une mort hâtive,
Pareils à des pêcheurs courbés sur une rive,
Se poussent à l’attaque, et, prompts à riposter,
Par l’injure et le fer tâchent de s’exciter.
Étur est plus ardent, mais don Paes plus ferme.
Ainsi que sous son aile un cormoran s’enferme,
Tel il s’est enfermé sous sa dague ; — le mur
Le soutient : à le voir, on dirait à coup sûr
Une pierre de plus dans les pierres gothiques
Qu’agitent les falots en spectres fantastiques.
Il attend. — Pour Étur, tantôt d’un pied hardi,
Comme un jeune jaguar, en criant il bondit ;
Tantôt, calme à loisir, il le touche et le raille,
Comme pour l’exciter à quitter la muraille.

Le manège fut long. — Pour plus d’un coup perdu,
Plus d’un bien adressé fut aussi bien rendu,
Et déjà leurs cuissards, où dégouttaient des larmes,
Laissaient voir clairement qu’ils saignaient sous leurs armes.