Page:Musset - Premières Poésies Charpentier 1863.djvu/142

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Et que veux-tu, dit l’autre, avec ces phrases-là ?
Il faut que je m’en aille, ou que tu te dépêches.
— As-tu, reprit Cassius, encor de ce poison ?
— Moi ! tant que tu voudras, plein une boîte à mèches.
— Écoute : cette femme avait porté le nom
D’un autre ; elle avait eu des amants qu’on ignore,
Je n’ai fait que presser ce qu’il restait encore
De sève au cœur du fruit. J’en veux un aujourd’hui
Fermé pour tous ; pour moi (moi seul !) épanoui,
Après moi refermé. Je veux toute une vie,
Et j’ajoute la mienne au marché.

              — Ton envie,
Répondit Fortunio, me sourit. Seulement
Tu l’aurais pu d’abord dire plus simplement.
Quelle est ta jeune fille ? Il te la faut jolie ;
Sinon ton tour est sot et ne vaut que moitié.
Ensuite il faut qu’elle ait pour toi quelque amitié.
Au reste, je conviens, mon cher, que ton idée,
Qui pourrait étonner un homme compassé,
Par la tête le soir m’a quelquefois passé.
Au goût du jour, d’ailleurs, elle est accommodée
Lorsqu’un homme s’ennuie et qu’il sent qu’il est las
De traîner le boulet au bagne d’ici-bas,
Dès qu’il se fait sauter, qu’importe la manière ?
J’aimerais tout autant ce que tu me dis là
Que de prendre un beau soir ma prise de tabac
Dans un baril d’opium ou dans ma poudrière.

— Eh bien ! cria Cassius, marchons de ce côté. » —
Tous les deux à pas lents regagnèrent la rue.

« Mais, dit Fortunio, le nom de ta beauté ?