Page:Musset - Premières Poésies Charpentier 1863.djvu/146

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un caveau verrouillé vaut mieux qu’un trépied d’or.
C’est ce pouvoir, ami, c’est ce nœud redoutable
De l’aigle à l’hirondelle et du prêtre à l’enfant,
Qui fait que l’homme fort doit briser son semblable
Contre sa volonté de fer qui le défend.

Essaye, et tu verras. Quand la nuit solitaire
Sur son cilice d’or s’assoira sur la terre,
Laisse évoquer le diable au bouvier du chemin,
Qui veut faire avorter la vache du voisin ;
Évoque ton courage et le sang de tes veines,
Ton amour et le dieu des volontés humaines !
Pénètre dans la chambre où Suzon dormira ;
Ne la réveille pas ; parle-lui, charme-la ;
Donne-lui, si tu veux, de l’opium la veille.
Ta main à ses seins nus, ta bouche à son oreille,
Autour de tes deux bras roule ses longs cheveux,
Glisse-toi sur son cœur, et dis-lui que tu veux
(Entends-tu ? que tu veux !) sur sa tête et sous peine
De mort, qu’elle te sente et qu’elle s’en souvienne ;
Blesse-la quelque part, mêle à son sang ton sang ;
Que la marque lui reste et fais-toi la pareille,
N’importe à quelle place, à la joue, à l’oreille,
Pourvu qu’elle frémisse en la reconnaissant.
Le lendemain sois dur, le plus profond silence,
L’œil ferme, laisse-la raisonner sans effroi,
Et dès la nuit venue arrive et recommence.
Huit jours de cette épreuve, et la proie est à toi.
— Je le veux, dit Cassius, et la pensée est bonne.
Cette nuit je commence, et l’attache à la croix,
Huit jours à tout hasard, et que Dieu lui pardonne ! »

Fortunio se trompait, il n’en fallut que trois.