Page:Musset - Premières Poésies Charpentier 1863.djvu/151

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Frappait ton pâle front dans le calme des nuits.
Là, tu fus sans espoir, sans proches, sans amis ;
La vile oisiveté, fille de la misère,
À ton ombre en tous lieux se traînait lentement,
Et buvait dans ton cœur les flots purs de ton sang :
« Qui suis-je ? écrivais-tu ; qu’on me donne une pierre,
Une roche à rouler ; c’est la paix des tombeaux
Que je fuis, et je tends des bras las du repos. »

C’est ainsi, Machiavel, qu’avec toi je m’écrie :
Ô médiocrité, celui qui pour tout bien
T’apporte à ce tripot dégoûtant de la vie,
Est bien poltron au jeu, s’il ne dit : Tout ou rien.

Je suis jeune ; j’arrive. À moitié de ma route,
Déjà las de marcher, je me suis retourné.
La science de l’homme est le mépris sans doute ;
C’est un droit de vieillard qui ne m’est pas donné.
Mais qu’en dois-je penser ? Il n’existe qu’un être
Que je puisse en entier et constamment connaître,
Sur qui mon jugement puisse au moins faire foi,
Un seul !… Je le méprise. — Et cet être, c’est moi.

Qu’ai-je fait ? qu’ai-je appris ? — Le temps est si rapide !
L’enfant marche joyeux, sans songer au chemin ;
Il le croit infini, n’en voyant pas la fin.
Tout à coup il rencontre une source limpide,
Il s’arrête, il se penche, il y voit un vieillard.
Que me dirai-je alors ? Quand j’aurai fait mes peines,
Quand on m’entendra dire : Hélas ! il est trop tard !
Quand ce sang, qui bouillonne aujourd’hui dans mes veines,
Et s’irrite en criant contre un lâche repos,
S’arrêtera, glacé jusqu’au fond de mes os…