Page:Musset - Premières Poésies Charpentier 1863.djvu/332

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On se sent très-bien vivre, et pourtant on est mort.
On ne parlerait pas d’amour, mais je présume
Que l’on serait capable, avec un peu d’effort…
Je crois qu’une sottise est au bout de ma plume.

LXX


Avez-vous jamais vu, dans le creux d’un ravin,
Un bon gros vieux faisan qui se frotte le ventre
S’arrondir au soleil et ronfler comme un chantre ?
Tous les points de sa boule aspirent vers le centre.
On dirait qu’il rumine, ou qu’il cuve du vin.
Enfin, quoi qu’il en soit, c’est un état divin.

LXXI


Lecteur, si tu t’en vas jamais en Terre sainte,
Regarde sous tes pieds, tu verras des heureux.
Ce sont de vieux fumeurs qui dorment dans l’enceinte
Où s’élevait jadis la cité des Hébreux.
Ces gens-là savent seuls vivre et mourir sans plainte :
Ce sont des mendiants qu’on prendrait pour des dieux.

LXXII


Ils parlent rarement, — ils sont assis par terre,
Nus, ou déguenillés, le front sur une pierre,
N’ayant ni sou ni poche, et ne pensant à rien.
Ne les réveille pas : ils t’appelleraient chien.
Ne les écrase pas : ils te laisseraient faire.
Ne les méprise pas, car ils te valent bien.