Page:Musset - Premières Poésies Charpentier 1887.djvu/101

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"Portia, dit-il, d’un ton de voix lent et profond ;
Quand ton père, en mourant, joignit nos mains, la mienne
Resta pourtant ouverte ; en retirer la tienne
Etait aisé. Pourquoi l’as-tu donc fait si tard ? "

Mais le jeune Dalti s’était levé. "Vieillard,
Ne perdons pas de temps. Vous voulez cette femme ?
En garde ! Qu’un de nous la rende avec son âme.

— Je le veux", dit le comte ; et deux lames déjà
Brillaient en se heurtant. — Vainement la Portia
Se traînait à leurs pieds, tremblante, échevelée.
Qui peut sous le soleil tromper sa destinée ?
Quand des jours et des nuits qu’on nous compte ici-bas
Le terme est arrivé, la terre sous nos pas
S’entr’ouvrirait plutôt : que sert qu’on s’en défende ?
Lorsque la fosse attend, il faut qu’on y descende.

Le comte ne poussa qu’un soupir, et tomba.

Dalti n’hésita pas. "Viens, dit-il à Portia,
Sortons." Mais elle était sans parole, et mourante.
Il prit donc d’une main le cadavre, l’amante
De l’autre, et s’éloigna. La nuit ne permit pas
De voir de quel côté se dirigeaient ses pas.

III

Une heure est à Venise, — heure des sérénades,
Lorsqu’autour de Saint-Marc sous les sombres arcades,
Les pieds dans la rosée, et son masque à la main,
Une nuit de printemps joue avec le matin,
Nul bruit ne trouble plus, dans les palais antiques,
La majesté des saints debout sous les portiques.
La ville est assoupie, et les flots prisonniers