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Page:Musset - Premières Poésies Charpentier 1887.djvu/214

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SUZON.


— La faute en est à toi, répondit le second,
Si tu n’en tires rien. » L’autre dit : « Parbleu non !
Je n’ai pas le talent de réchauffer les marbres. »
Son ami là-dessus se mit à parler bas.
Très-vite et très-longtemps, et tous deux sous les arbres
Disparaissant bientôt, ils doublèrent le pas.
Cassius reconduisit l’autre jusqu’à la porte.
Et demeura chez lui jusques au lendemain.
Il en sortit tremblant, une fiole à la main :
Et le jour qui suint, sa maîtresse était morte.

Il se passa deux ans, durant lesquels Cassius
Et son ami l’abbé ne se parlèrent plus.
Cassius se montrait peu, boudait, ne riait guère,
Buvait moins, maigrissait. L’autre, tout au contraire,
Bien poudré, l’œil au vent, les poches pleines d’or,
L’air impudent, taillé comme un tambour-major,
Possédant, en un mot, tout ce qui plaît aux femmes.
Loin de changer en rien, toujours près de ces dames,
Toujours rose, toujours charmant, continua
D’épanouir à l’air sa désinvoltura.
 
Tous les deux cependant menaient un train semblable,
Et chez Sa Sainteté se rencontraient à table,
À l’église, au boston : ils se disaient deux mots,
Se touchaient dans la main, et se tournaient le dos.
Cela dura deux ans, je viens de vous le dire,
Cassius dépérissait, tombait de mal en pire,
Arrivait à souper les cheveux dépoudrés,
Avec un pied de rouge et les bas mal tirés.