Page:Musset - Premières Poésies Charpentier 1887.djvu/99

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Et puis elle ajouta : "Mon amour ! que personne
Ne vous ait vu venir surtout, car j’en frissonne."

Mais le jeune Dalti ne lui répondait pas ;
Aux rayons de la lune, il avait de ses bras
Entouré doucement sa pâle bien-aimée ;
Elle laissait tomber sa tête parfumée
Sur son épaule, et lui regardait, incliné,
Son beau front, d’espérance et de paix couronné !

"Portia, murmura-t-il, cette glace dans l’ombre
Jette un reflet trop pur à cette alcôve sombre ;
Ces fleurs ont trop d’éclat, tes yeux trop de langueurs ;
Que ne m’accablais-tu, Portia, de tes rigueurs !
Peut-être, Dieu m’aidant, j’eusse trouvé des armes.
Mais quand tu m’as noyé de baisers et de larmes,
Dis, qui peut m’en défendre, ou qui m’en guérira ?
Tu m’as fait trop heureux ; ton amour me tuera ! "

Et comme sur le bord de la longue ottomane,
Elle attachée à lui comme un lierre au platane,
Il s’était renversé tremblant à ce discours,
Elle le vit pâlir : "mes seules amours,
Dit-il, en toute chose il est une barrière
Où, pour grand qu’on se sente, on se jette en arrière ;
De quelque fol amour qu’on ait empli son cœur,
Le désir est parfois moins grand que le bonheur ;
Le ciel, ô ma beauté, ressemble à l’âme humaine :
Il s’y trouve une sphère où l’aigle perd haleine,