Page:Musset - Sélection, 1895.djvu/53

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
Se suspend et s’attache aux lèvres de sa mère,
L’art avec lui tomba. — Ce fut le dernier nom
Dont le peuple toscan ait gardé la mémoire.
Aujourd’hui l’art n’est plus, — personne n’y veut croire.
Notre littérature a cent mille raisons
Pour parler de noyés, de morts, et de guenilles.
Elle-même est un mort que nous galvanisons.
Elle entend son affaire en nous peignant des filles,
En tirant des égouts les muses de Régnier.
Elle-même en est une, et la plus délabrée
Qui de fard et d’onguents se soit jamais plâtrée.
Nous l’avons tous usée, — et moi tout le premier.
Est-ce à moi, maintenant, au point où nous en sommes,
De vous parler de l’art et de le regretter ?
Un mot pourtant encore avant de vous quitter.
Un artiste est un homme, — il écrit pour des hommes.
Pour prêtresse du temple, il a la liberté ;
Pour trépied, l’univers ; pour éléments, la vie ;
Pour encens, la douleur, l’amour et l’harmonie ;
Pour victime, son cœur ; — pour dieu, la vérité.
L’artiste est un soldat, qui des rangs d’une armée
Sort, et marche en avant, — ou chef, — ou déserteur.
Par deux chemins divers il peut sortir vainqueur.
L’un, comme Calderon et comme Mérimée,
Incruste un plomb brûlant sur la réalité,
Découpe à son flambeau la silhouette humaine,
En emporte le moule, et jette sur la scène
Le plâtre de la vie avec sa nudité.
Pas un coup de ciseau sur la sombre effigie,
Rien qu’un masque d’airain, tel que Dieu l’a fondu.
Cherchez-vous la morale et la philosophie ?
Rêvez, si vous voulez, — voilà ce qu’il a vu.
L’autre, comme Racine et le divin Shakspeare,
Monte sur le théâtre, une lampe à la main,