Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/273

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VI


Les étudiants, non plus que les grisettes, ne sont pas riches tous les jours. Eugène comprenait très bien que, pour donner un air de vraisemblance à la petite fable que le garçon devait faire, il eût fallu joindre à son envoi le louis que demandait Rougette ; mais là était la difficulté. Les louis ne sont pas précisément la monnaie courante de la rue Saint-Jacques. D’une autre part, Eugène venait de s’engager à payer le restaurateur, et, par malheur, son tiroir, en ce moment, n’était guère mieux garni que sa poche. C’est pourquoi il prit sans différer le chemin de la place du Panthéon.

En ce temps-là demeurait encore sur cette place ce fameux barbier qui a fait banqueroute, et s’est ruiné en ruinant les autres. Là, dans l’arrière-boutique, où se faisait en secret la grande et la petite usure, venait tous les jours l’étudiant pauvre et sans souci, amoureux peut-être, emprunter à énorme intérêt quelques pièces dépensées gaiement le soir et chèrement payées le lendemain. Là entrait furtivement la grisette, la tête basse, le regard honteux, venant louer pour une partie de campagne un chapeau fané, un châle reteint, une chemise