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Page:Mustoxidi - Histoire de l’esthétique française, 1920.djvu/191

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AUGUSTE COMTE

ments qui tiennent au vrai goût, mais il ne s’agit plus de venir porter des jugements de rhétorique. Aujourd’hui, l’histoire littéraire se fait comme l’histoire naturelle, par des ohservations et par des collections » (1).

Sainte-Beuve indique comment il faut mener l’enquête sur l’homme et l’œuvre qu’on étudie, comment il faut constituer « les collections » de documents. Le passage suivant, si caractéristique, est très connu : « On ne saurait s’y prendre de trop de façons, et par trop de bouts, pour connaître un homme, c’est-à-dire autre chose qu’un pur esprit. Tant qu’on ne s’est pas adressé sur son auteur un certain nombre de questions, et qu’on n’a pas répondu, ne fut-ce que pour soi seul et tout bas, on n’est pas sûr de le tenir tout entier, quand même ces questions sembleraient les plus étrangères à la nature de son esprit : — Que pensait-il en religion ? Comment était-il affecté du spectacle de la nature ? — Comment se comportait-il sur l’article des femmes ? sur l’article de l’argent ? Etait-il riche, était-il pauvre ? — Quel était son régime ? etc. — Enfin, quel était son vice et son faible ? Tout homme en a un. Aucune des réponses à ces questions n’est indifférente pour juger l’auteur d’un livre ou le livre lui-même, si c’est surtout un ouvrage littéraire, c’est-à-dire où il entre de tout. »

Ce que Sainte-Beuve comprend, c’est surtout la complexité de la question dont il s’occupe : ainsi il critique et avec beaucoup de force les théories trop simplistes de Taine. Nous rencontrerons plus loin ces critiques qui restent. encore entièrement vraies.

M. Lanson, dans le même ordre d’idées, écrit que la méthode de Sainte-Beuve « à vrai dire, ne lui indique qu’une direction générale : ramasser tout ce qu’il peut du vrai, en regardant tout ce qu’il peut du réel. Il demeure toujours libre de choisir ses moyens : il n’en exclut aucun. Il les essaie tous à tour de rôle, pour tàter ce qu’ils donnent. 11 regarde déjà le milieu, et le moment, et la race, mais il regarde bien d’autres choses encore : ce n’est pas trois questions qu’il se pose sur un écrivain, c’est vingt » (2).

C’est là le mérite capital de Sainte-Beuve ; tout en ayant com pris que l’œuvre d’art est relative et qu’on doit la déterminer, il n’a pas cru que la question fût aussi simple qu’elle le paraissait de prime abord. « … Lorsqu’on dit, écrit-il, et qu’on répète que la

(1) Loc. cit., Pensée 21.

(2) G. Lanson — Sainte-Beuve. Revue de Belgique, 15 janv. 1905, p. 25.