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G. FLAUBERT

tion à la forme. Hélas ! c’est comme le corps et l’âme, la forme et l’idée ; pour moi, c’est tout un et je ne sais pas ce qu’est l’un sans l’autre. Plus une idée est belle, plus la phrase est sonore, soyez-en sûre. La précision de la pensée fait (et est elle-même) celle du mot » (1). Et, on retrouve la même idée dans une lettre à Ceorge Sand de 1876 ; en vérité, pour Flaubert l’intime union du fond et de la forme fut une de ses idées directrices. C’est en se fondant sur elle qu’il donnait une solution au problème de la moralité dans l’art. Sa nièce, dans la Préface de la Correspondance, nous dit, en elfet, que Flaubert « jugeait qu’aucun livre n’est dangereux, s’il est bien écrit ; cette opinion venait chez lui de l’union intime qu’il faisait du fond et de la forme, quelque chose de bien écrit ne pouvant pas être mal pensé, conçu bassement. Ce n’est pas le détail cru, le fait brut qui est pernicieux, nuisible, qui peut souiller l’intelligence, tout est dans la nature ; rien n’est moral ou immoral, mais l’âme de celui qui représente la nature la rend grande, belle, sereine, petite, ignoble ou tourmentante. Des livres obscènes bien écrits, il ne pouvait en exister, selon lui » (2).

En général, pour Flaubert, le but de l’art est de réaliser le beau. « On reproche aux gens qui écrivent en bon style de négliger l’idée, le but moral, écrivait-il à Mme X…, comme si le but du médecin n’était pas de guérir, le but du rossignol de chanter, comme si le but de l’art n’était pas le beau avant tout » (3). L’émotion que le beau procure à l’aide surtout de la rêverie (4), est désintéressée (5).

L’art doit présenter l’idéal ; ce dernier terme prend une signification toute spéciale chez Flaubert. Voici un passage d’une letlre adressée à Mme X., où le romancier explique sa conception de l’idéal : « Il ne faut jamais craindre d’être exagéré, tous les très grands l’ont été, Michel-Ange, Rabelais, Shakespeare, Molière ; il s’agit de faire prendre un lavement à un homme (dans Pourceaugnac), on n’apporte pas une seringue, non, on emplit le théâtre de seringues et d’apothicaires, cela est tout bonnement le génie dans son vrai centre, qui est l’énorme. Mais pour que l’exagération ne paraisse pas, il faut qu’elle soit partout continue, proportionnée,

(1) Lettre à Mlle Leroyer de Chantepie, du 12 déc. 1857.

(2) Loc. cit. vol. I, p. XXV.

(3) Lettre à Mme X. du 18 sept. 1846.

(4) Lettre à Mlle Leroyer de Chantepie du 18 fév. 1859.

(5) Lettre à Mme X. 1833. Vol. II, p. 236.