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les farfadets

De tous les refrains où leurs ancêtres célébraient l’amour et la guerre, ils ne se rappellent plus que celui-ci :



Gwell eô Gwin ar gal
nag aval.
Gwell eô gwin ar gal.


Mieux vaut vin de Gaulois
que de pommes.
Mieux vaut vin de Gaulois !


Aussi, chaque soir, n’ouït-on parler que de côtes enfoncées ou de têtes cassées…

Sur les plages sablonneuses, tous les jours, la mer s’enfle.

Du fond de l’horizon, les nuages s’avancent comme des troupes de cavaliers montés sur des coursiers gris qui reniflent de froid.

Puis, au cri lamentable des goëlands, on voit passer dans la tempête quelque noire épave fantôme qui ne lutte plus.

Et le lendemain, d’autres partent ! Aux flots s’en vont les vrais Bretons de race forte, car la mer les prend tous.

« Bientôt, il ne restera plus dans la contrée que les ivrognes, les paillards, les éclopés… Ah ! misère de nous !

Un tas de loqueteux qui cheminent, traînant la patte le long des voies, pour y marmonner leurs complaintes…

« Pour y gueuser des sous à tout venant. L’un brandissant ses faux moignons, l’autre étalant ses ulcères postiches.

Tous s’engraissant dans la fainéantise, au pardon de la bonne sainte Anne d’Auray qui n’en peut mais !… »

Ainsi le vieux barde se désole par les sentiers déserts. Il regrette sa jeunesse, car, sous le règne des farfadets, tout va de mal en pis.

« Au temps des Korrigans, morbleu ! On avait les cheveux noirs et drus, l’œil vif, le jarret souple.

« On était un fier gars, ma foi ! La petite Jeanne-Marie en savait quelque chose,