Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome II 1921.djvu/132

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
127
FAVEUR DE M. DECAZES

monsieur Decazes était très fréquentée. La fuite de monsieur de La Valette avait bien apporté un léger refroidissement ; toutefois les plus chauds partisans de l’ancien régime y allaient assidument. On espérait se servir de monsieur Decazes pour maintenir le Roi dans la bonne voie. La vanité du ministre l’aurait assez volontiers poussé dans la phalange aristocratique qui, vers cette époque, prit le nom d’ultra, si ses exigences n’étaient devenues de jour en jour plus grandes. Quant au monarque, il inspirait toujours beaucoup de méfiance.

Monsieur Lainé avait remplacé monsieur de Vaublanc dont les folies avaient comblé la mesure. Dans cette circonstance, monsieur de Richelieu, selon son usage, avait, en ayant raison dans le fond, mis les formes contre lui et l’avait chassé d’une façon qui fournissait au parti qu’il représentait quelque prétexte de plaintes. Au reste, les fureurs de monsieur de Vaublanc furent si absurdes qu’il se noya dans le ridicule.

Le jour où le nom de son successeur parut dans le Moniteur, je crus devoir aller faire une visite chez monsieur de Vaublanc. Je ne m’attendais pas à être reçue ; je fus admise quoique je n’eusse aucun rapport intime avec lui et les siens. La porte était ouverte à tout venant ; il était au milieu de ses paquets de ministre et de particulier, mêlant les affaires d’État et de ménage de la façon la plus comique. Un de ses commensaux vint lui raconter que son ministère serait partagé entre trois personnes :

« Trois, répondit-il sérieusement, trois, ce n’est pas assez ; ils ne peuvent pas me remplacer à moins de cinq. »

Il énuméra sur ses doigts les cinq parties du ministère de l’intérieur qui réclament la vie entière de tout autre homme mais que lui menait facilement toutes cinq de front, sans que rien fût jamais en retard ; et il nous fit faire l’inventaire de ses portefeuilles pour que nous pus-