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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

dre le mot d’ordre. On ne disait plus : je vais au coucher, mais je vais à l’ordre. Cela était à la fois plus digne et plus décent que ces habitudes de l’ancienne Cour dont le pauvre Louis xvi donnait chaque soir le spectacle.

C’était à l’ordre que les personnes de la Cour avaient occasion de parler au Roi sans être obligées de solliciter une audience. Aussi la permission d’aller à l’ordre était-elle fort prisée par les courtisans de la Restauration.

Le favoritisme de monsieur Decazes s’établissait de plus en plus ; monsieur de Richelieu y poussait de toutes ses forces. Pourvu que le bien se fit, il lui était bien indifférent par quel moyen et il n’était pas homme à trouver une mesure sage moins sage parce qu’elle s’obtenait par une autre influence que la sienne. Il était très sincèrement enchanté que monsieur Decazes prit la peine de plaire au Roi et le voyait y réussir avec une entière satisfaction. Je crois, à vrai dire, que monsieur Decazes avait le bon sens de ne s’en point targuer vis-à-vis de ses collègues. Il mettait son crédit en commun dans le Conseil, mais, vis-à-vis du monde, il commençait à déployer sa faveur avec une joie de parvenu qui lui valait quelques ridicules.

Le Roi, qui avait toujours eu besoin d’une idole, partageait ses adorations entre lui et sa sœur, madame Princeteau, bonne petite personne, bien bourgeoise, qu’il avait fait venir de Libourne pour tenir sa maison et qui était fort gentille jusqu’à ce que les fumées de l’encens lui eussent tourné la tête.

On a fait beaucoup d’histoires sur son compte ; j’ignore avec quel fondement. Ce que je sais, c’est qu’elle paraissait uniquement dévouée à son frère ; et, si elle a eu un moment de crédit personnel, elle le lui a rapporté tout entier.

Pendant ce premier hiver de faveur, la maison de