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SAGESSE DU DUC D’ANGOULÊME

Ce jour-là elle raconta l’arrivée de monsieur de Blacas. « Tant pis », répondit sèchement monsieur le duc d’Angoulême. Elle ne répliqua pas. Mon frère, qui, en sa qualité d’aide de camp, déjeunait chez son prince, fut frappé de l’idée qu’il y avait dissidence dans le royal ménage sur cet événement.

Au reste, cela arrivait très habituellement. Monsieur le duc d’Angoulême rendait une espèce de culte à sa femme qui avait pour lui la plus tendre affection, mais ils ne s’entendaient pas en politique. Sous ce rapport, Madame était bien plus en sympathie avec Monsieur, et ni l’un ni l’autre n’exerçaient d’influence sur monsieur le duc d’Angoulême.

Lorsque Madame commençait une de ses diatribes d’ultra-royalisme, il l’arrêtait tout court :

« Ma chère princesse (c’est ainsi qu’il l’appelait) ne parlons pas de cela ; nous ne pouvons nous entendre ni nous persuader réciproquement. »

Aussi toutes les intrigues du parti s’arrêtaient-elles devant la sagesse de monsieur le duc d’Angoulême qui refusait constamment de témoigner aucune opposition au gouvernement du Roi. Elles trouvaient, en revanche, des auxiliaires bien actifs dans les autres princes et leurs entours, y compris ceux du Roi.

La nouvelle de l’arrivée de monsieur de Blacas fit grand bruit, comme on peut penser. Je sus promptement le peu d’étonnement témoigné par le Roi, l’histoire de Thisbé et le tant pis de monsieur le duc d’Angoulême. Selon le parti auquel on appartenait, on brodait le fond de diverses couleurs.

Les courtisans avaient remarqué qu’après le déjeuner monsieur de Blacas ayant parlé bas au Roi, il avait répondu tout haut de sa voix sévère :

« C’est de droit, vous n’avez pas besoin de permission. »