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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

aller voir un ancien ami de son père. Le lendemain, pendant que je faisais ma toilette, on vint la demander. Elle avait fait appeler des marchands d’étoffes pour moi et s’informa si c’était eux qui attendaient ; on lui répondit que c’était une vieille paysanne n’ayant qu’un bras.

« Oh ! fit-elle, c’est la bonne Marion ? c’est bien beau, son bras, allez, madame ! Ma mère nous l’a souvent fait baiser avec respect. » Cette phrase excita ma curiosité, et j’obtins le récit suivant :

« Madame sait que mon père était libraire du Chapitre et vendait principalement des livres d’église, ce qui le mettait en relation avec les ecclésiastiques. Parmi eux, monsieur Roussel, curé de Vériat, venait le plus à la maison ; mon père allait souvent chez lui et ils étaient très amis.

« Lors de la Terreur, tous deux furent arrêtés et jetés dans la même prison. Marion, servante de monsieur Roussel, et bien attachée à son maître, quitta le village de Vériat, et vint à Lyon pour se rapprocher de lui. Ma mère lui donna un asile chez nous où, comme Marion, nous étions très inquiets et très malheureux, manquant de pain encore plus que d’argent et ayant bien de la peine à trouver de quoi manger. Cependant Marion parvenait, à force d’industrie, à se procurer chaque jour un petit panier de provisions qu’elle réussissait ordinairement à faire arriver jusqu’à monsieur Roussel.

« Un matin où elle avait été brutalement repoussée, sa persévérance à réclamer l’entrée de la prison ayant impatienté un des sans-culottes qui était de garde, il s’avisa de dire qu’assurément son panier contenait une conspiration contre la République et voulut s’en emparer. Marion, prévoyant le pillage de son pauvre dîner, voulut le défendre. Alors un de ces monstres, un peu