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150 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

En pleine maturité, Jean Barois a écrit un testament : " Ce que f écris aujourd'hui y ayant dépassé la quarantaine, en pleine force et en plein équilibre intellectuel, doit, de toute évidence, prévaloir contre ce que je pourrai penser ou écrire a la fin de mon existence, lorsque je serai physiquement et moralement diminué par Vàge ou la maladie. Je ne connais rien de plus poignant que P attitude d'un vieillard, dont la vie tout entière a été employée au service d'une idée, et qui, dans V affaiblissement final, blasphème ce qui a été sa raison de vivre et renie lamentablement son passé... Je ne crois pas a Vàme humaine, substantielle et immortelle... Je sais que ma personnalité n^est qu'une agglomération de particules matérielles dont la désagrégation entraînera la mort totale... etc. " Jean Barois mort, Cécile retrouve ce papier et le brûle. C'est tout. Cela suffit. Et cet effacement volontaire d'un auteur que Ton sent frémissant et passionné, est encore ce qu'il y a des plus attachant dans ce livre.

Je n'ai parlé que du personnage central, mais tous ceux qui l'entourent sont vivants, précis, soigneusement dessinés ou révé- lés en raccourci par quelques répliques. C'est tout un peuple que M. Martin du Gard a entrepris de mettre sur pied et il ne fléchit pas sous une telle entreprise. On sent en lui, à côté d'une attention délicate pour les conflits moraux et d'une sorte de pudeur quand il touche aux sentiments, une volonté tenace et le goût d'attaquer un grand sujet de front. Son souci de vérité est si grand qu'il n'épargne pas à son héros tels excès d'éloquence, tels menus traits de déformation professionnelle qui précisent les contours et les rendent plus particuliers. Il n'évite pas non plus de lui prêter telle façon de parler qui vieillira vite, telle théorie qui déjà semble dater un peu. Il y a telle conférence de Barois sur la libre pensée qui, je le crains, sera bien agaçante d'ici quelques années. On pouvait écrire un livre aussi vrai, mais où ces éléments intellectuels, soumis à de promptes flétrissures, auraient été remplacés par des équiva- lents plus durablement humains. C'est le point vulnérable de Jean Barois. La forme me semble témoigner d'une grande

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