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Il passa la cravate autour de son cou. Au centre de la cravate, à travers un petit couloir de métal devait glisser le ruban d’attache, que s’apprêtait à coincer un bec en levier. Ingénieux appareil, mais qui n’attendait que la visite du ruban pour abandonner la cravate ; celle-ci retomba sur la table d’opération. Force était de recourir à Véronique ; elle accourut à l’appel.

— Tiens : recouds-moi ça, dit Anthime.

— Travail à la machine : ça ne vaut rien, murmura-t-elle.

— Il est de fait que ça ne tient pas.

Véronique portait toujours, piquées à son caraco d’intérieur, sous le sein gauche, deux aiguilles tout enfilées, l’une de blanc, l’autre de noir. Près de la porte-fenêtre, sans même s’asseoir, elle commença la réparation. Anthime cependant la regardait. C’était une assez forte femme ; aux traits marqués ; entêtée comme lui, mais accorte après tout, et la plupart du temps souriante, au point qu’un peu de moustache ne durcissait pas trop son visage.

— Elle a du bon, pensait Anthime en la voyant tirer l’aiguille. J’aurais pu épouser une coquette qui m’eût trompé, une volage qui m’eût planté là, une bavarde qui m’eût rompu la tête, une bécasse qui m’eût fait sortir de mes gonds, une grinchue comme ma belle-sœur... Et sur un ton moins rogue que de coutume :

— Merci, dit-il, comme Véronique, son travail achevé, repartait.

La cravate neuve à son cou, Anthime à présent est tout à ses pesées. Plus aucune voix ne s’élève, ni au dehors, ni dans son cœur. Il a déjà pesé les rats aveugles.