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198 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

signification ; toute émotion, tout attendrissement en sont absents ; et elle est, par surcroît, mal composée. Mais c'est un répertoire inouï, un vocabulaire prodigieux de mouvements et de formes ; c'est la forme et le mou- vement peints pour eux-mêmes, pour leur éloquence particulière, indépendamment de l'objet qu'ils veulent rendre, et dans ce qu'ils ont, pourrais-je dire, de cosmique, et non plus de sensible ou de spirituel. On sent que l'artiste, n'ayant plus rien à nous confier ni à nous apprendre, se renferme et se complaît dans la beauté intrinsèque du langage où il est passé maître, et qu'il le pousse au suprême degré de raffinement et de perfection. De telles œuvres sont des confidences que le peintre se fait, désormais à soi-même ; c'est pourquoi, si froides d'apparence, elles sont si enflammées.

Mais, à plusieurs années en arrière, presque au début d'une carrière si traversée, et, malgré tout, si triom- phale, c'est à la Thétis aux pieds de Jupiter^ à cette œuvre véritablement olympienne, que j'aime le plus à me reporter. Voilà comme Ingres repensait et recréait la fraîcheur et la poésie homériques. D'Homère, il ne retenait que la force et la grandeur, et aussi la volupté héroïque. Ce col renversé, et comme verticalement renflé, de la Thétis, le même que celui d'Angélique et de Paolo Malatesta, vous poursuit obstinément, et devient pour l'imagination un de ces traits de la beauté humaine telle- ment imprévus, hardis et accomplis à la fois, qu'ils semblent aller au-delà de l'humain. Ce tableau serait celui d'Ingres où je me tiendrais le plus volontiers, comme au point idéal, à la fois intellectuel et plastique, d'où son génie s'est distribué en courbes savantes et passionnées.

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