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322 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

fois plus dans la phosphorescence et la plastique verbales, lorsque je relis Cakndal(\uç. lorsque je relis V Enéide. Mais si je suis obligé d'accorder à V Enéide infiniment plus de poids, c'est que V Enéide est le Cakndalàt Rome, qu'elle est assise sur un des grands massifs humains, tandis que Calendal c'est V Enéide de la Provence, une Enéide qui n'est fondée que sur le génie d'un poète. Et je dirais la même chose àHHermann et Dorothée et de Mireille... Et si l'on m'alléguait Dante et la Divine Comédie, je répondrais que leur cas répond en effet à celui de la poésie mistralienne et lui ressemble, comme les couleurs d'une belle aurore ressemblent à celles d'un magnifique crépuscule. Le génie créateur de l'un s'exerce sur la langue que l'on parle et que l'on va parler, le génie créateur de l'autre sur une langue que l'on déserte.

C'est bien d'ailleurs ce qu'avaient compris Mistral et après lui l'élite du Félibrige. La poésie de Mistral ne forme qu'une part dans son œuvre de restauration et de création. Par son Trésor du Félibrige il constitua, au prix d'un immense labeur, les archives et la carrière de la langue. Parmi les sept de Fontségugne, il fut le seul à concevoir un provençalisme intégral, la possibilité d'une culture méridionale, d'un Midi amoureux de sa langue et s'appliquant à la relever. Il est aussi bien le centre et le père du félibrige tout poétique de la grande génération, celle des Roumanille et des Aubanel, que du félibrige décentralisateur qui prête l'oreille à l'appel de la Comtesse. C'est, pour lui, continuer Mireille et Calendal qu'aug- menter par son action les chances de survie de la langue en laquelle ses poèmes sont écrits et qui les porte comme la mei les vaisseaux. Et, à l'heure de jeunesse où il écrivait, dans Comtesse, le poème allégorique de la vie nationale nouvelle,' peut-être croyait-il réalisables et permis ces beaux espoirs de la Provence intelligente. Mais n'est-ce point leur inévitable échec que symbolise dans le Poème du Rhône le bateau détruit de patron Apian, et, sur le noble fleuve, la fin du passé héroïque et légendaire ?

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