vation et d’accroissement de ma propre vie autrement fort que celui que j’avais moi-même ; et mes pensées se prolongeaient en elle sans subir de déviation parce qu’elles passaient de mon esprit dans le sien sans changer de milieu, de personne. Et comme quelqu’un qui veut nouer sa cravate devant une glace sans comprendre que le bout qu’il voit n’est pas placé par rapport à lui du côté où il dirige sa main, ou comme un chien qui poursuit à terre l’ombre dansante d’un insecte, trompé par l’apparence des corps comme on l’est dans ce monde où nous ne percevons pas directement les âmes, je me jetai dans ses bras, et je suspendis mes lèvres à ses joues comme si j’accédais ainsi à ce cœur immense qu’elle m’ouvrait. Quand j’avais ainsi ma bouche collée à ses joues, à son front, j’y puisais quelque chose de si bienfaisant, de si nourricier, que je gardais l’immobilité, le sérieux, la tranquille avidité d’un enfant qui tette. Et je regardais ensuite sans me lasser son grand visage découpé comme un beau nuage ardent et calme, derrière lequel on sentait rayonner la tendresse. « Surtout, me dit-elle, ne manque pas de frapper au mur si tu as besoin de quelque chose cette nuit, mon lit est adossé au tien, la cloison est très mince. D’ici un moment quand tu seras couché fais-le, pour voir si nous nous comprenons bien. »
Et en effet ce soir-là je frappai trois coups — que une semaine plus tard quand je fus souffrant je renouvelai pendant quelques jours tous les matins parce que ma grand’mère voulait me donner du lait de bonne heure. Alors quand je croyais entendre qu’elle était réveillée — pour qu’elle n’attendît pas et pût, tout de suite après, se rendormir, — je risquais trois petits coups, timidement, faiblement,