Souvent tandis que causait M. de Charlus, on entendait leur rire aigu et frais de pensionnaires ou de coquettes ajuster leur prochain avec des malices de bonnes langues et de fines mouches.
Cependant ma grand’mère m’avait fait signe de monter me coucher, malgré les prières de Saint-Loup qui, à ma grande honte, avait fait allusion devant M. de Charlus à la tristesse que j’éprouvais souvent le soir avant de m’endormir. Je fus bien étonné quand ayant entendu frapper à la porte de ma chambre et ayant demandé qui était là, j’entendis la voix de M. de Charlus qui disait d’un ton sec :
— C’est Charlus. Puis-je entrer, monsieur ? Monsieur mon neveu racontait tout à l’heure que vous étiez un peu ennuyé avant de vous endormir, et d’autre part que vous admiriez les livres de Bergotte. Comme j’en ai un dans ma malle que vous ne connaissez probablement pas, je vous l’apporte pour vous aider à passer ces moments où vous ne vous sentez pas heureux.
Je remerciai M. de Charlus avec émotion et lui dis que j’avais au contraire eu peur que ce que Saint-Loup lui avait dit de mon malaise à l’approche de la nuit, m’eût fait paraître à ses yeux plus stupide encore.
— Mais non, répondit-il d’un ton plus doux. Vous n’avez peut-être pas de mérite personnel, je n’en sais rien, si peu d’êtres en ont ! Mais pour un temps du moins vous avez la jeunesse et c’est toujours une séduction. D’ailleurs, Monsieur, la plus grande des sottises c’est de trouver ridicules ou blâmables les sentiments qu’on n’éprouve pas. J’aime la nuit et vous me dites que vous la redoutez ; j’aime sentir les roses et j’ai un ami à qui leur odeur donne la fièvre.