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Page:NRF 12.djvu/109

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pas à l’action, et ne retient que celle qui peut en rendre intelligible le but. Mais qu’au lieu de notre œil ce soit un objectif purement matériel, une plaque photographique, qui ait regardé, alors ce que nous verrons dans la cour de l’Institut au lieu de la sortie d’un académicien qui veut appeler un fiacre, ce sera sa titubation, ses précautions pour ne pas tomber en arrière, la parabole de sa chute, comme s’il était ivre ou que le sol fût couvert de verglas. Il en est de même quand quelque ruse du hasard empêche notre intelligente et pieuse tendresse d’accourir comme elle fait d’habitude pour nous cacher ce que nous ne devons jamais contempler, quand elle est devancée par nos regards, qui arrivés les premiers sur place et laissés à eux-mêmes, fonctionnent mécaniquement à la façon d’un appareil photographique, et nous montrent au lieu de l’être chéri qui n’existe plus depuis longtemps mais dont elle n’avait jamais voulu que la mort nous fût révélée, l’être nouveau que cent fois par jour elle revêtait d’une chère et menteuse ressemblance. Et, — comme un malade qui ne s’étant pas regardé depuis longtemps, et composant à tout moment le visage qu’il ne voit pas, d’après l’image idéale qu’il porte de son moi dans sa pensée, recule en apercevant dans la glace, au milieu d’une figure aride et déserte, l’exhaussement oblique et rose d’un nez gigantesque comme une pyramide d’Égypte, — moi pour qui ma grand’mère c’était encore moi-même, moi qui ne l’avais jamais regardée que dans mon âme, toujours à la même place du passé, à travers la transparence des souvenirs contigus, tout d’un coup, dans notre salon qui faisait partie d’un monde nouveau, celui du temps, celui où vivent les étrangers dont on dit « il vieillit bien », les