Quand elle en souffrait trop, pour tâcher de les guérir, elle s’efforçait en vain de les comprendre. Mais si les phénomènes morbides dont son corps était le théâtre restaient obscurs et insaisissables à la pensée de ma grand’mère, ils étaient clairs et intelligibles pour des êtres appartenant au même règne physique qu’eux et de ceux à qui l’esprit humain a fini par s’adresser pour comprendre ce que lui dit son corps, comme devant les réponses d’un étranger on va chercher quelqu’un du même pays qui servira d’interprète. Eux peuvent causer avec notre corps, nous dire si sa colère est grave ou s’apaisera bientôt, Cottard que, contre mon désir, on avait appelé auprès de ma grand’mère, ordonna — un jour où du reste elle ne se trouvait pas plus mal qu’elle n’était depuis plusieurs semaines déjà — qu’on prît sa température. Dans presque toute sa hauteur, le tube du thermomètre qu’on alla chercher était vide de mercure. À peine si l’on distinguait, tapie au fond de sa petite cuve, la salamandre d’argent. Elle semblait morte. On plaça le chalumeau de verre dans la bouche de ma grand’mère. Nous n’eûmes pas besoin de l’y laisser longtemps ; la petite sorcière n’avait pas tardé à tirer son horoscope. Nous la trouvâmes immobile, perchée à mi-hauteur de sa tour et n’en bougeant plus, nous montrent avec exactitude le chiffre que nous lui avions demandé et que toutes les réflexions qu’eût pu faire sur elle-même l’âme de ma pauvre grand’mère eussent été bien incapables de lui fournir ; 38, 3. Pour la première fois nous ressentîmes quelque inquiétude. Nous secouâmes bien fort le thermomètre pour effacer le signe fatidique, comme si nous avions par là pu abaisser la fièvre de ma grand’mère
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