Page:NRF 12.djvu/121

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

A LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU II5

cinq minutes, c'est un magistrat tout ce qu'il y a de plus haut placé. Eh bien, Monsieur, s'écria-t-elle avec ardeur, comme prête à soutenir cette assertion par la violence, si l'agent de l'autorité avait fait mine d'en contester l'exacti- tude, depuis huit ans, tous les jours que Dieu a faits, comme trois heures sonnent, il est ici, toujours poli, jamais un mot plus haut que l'autre, il reste plus d'une demi- heure pour lire ses journaux en faisant ses petits besoins. Un seul jour il n'est pas venu. Sur le moment je ne m'en suis pas aperçue. Mais le soir quand tout d'un coup je me suis dit : " Tiens mais ce monsieur n'est pas venu. Il faut qu'il soit mort. " Ça m'a fait quelque chose parce que je m'attache quand le monde est bien. Aussi j'ai été bien contente quand je l'ai revu le lendemain, je lui ai dit : "Monsieur il ne vous était rien arrivé hier." Alors il m'a dit comme ça qu'il ne lui était rien arrivé à lui, que c'était sa femme qui était morte et qu'il avait été si retourné qu'il n'avait pas pu venir. Hé bien il avait l'air triste assurément, mais il avait l'air content tout de même de revenir. On sentait qu'il avait été tout dérangé dans ses petites habitudes. C'est tel que je vous le dis. Monsieur, ajouta-t-elle d'un ton plus doux en constatant que le protecteur des massifs et des pelouses l'écoutait avec bonhomie sans songer à la contredire, gardant inoflfensive dans son fourreau une épée qui avait plutôt l'air de quelque instrument de jardinage ou de quelque attribut rustique.

Et puis, je choisis mes clients, je ne reçois pas tout le monde dans ce que j'appelle mon salon.

Enfin ma grand'mère sortit et songeant qu'elle ne chercherait pas à effacer par un pourboire l'indiscrétion

�� �