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Page:NRF 12.djvu/125

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revînmes des Champs-Élysées elles l’avaient saluée, passant en voiture découverte, par un temps superbe. Même Legrandin nous donna un coup de chapeau, en s’arrêtant, l’air étonné. Moi qui n’étais pas encore détaché de la vie, je demandai à ma grand’mère si elle lui avait répondu, lui rappelant qu’il était susceptible. Ma grand’mère me trouvant sans doute bien léger, leva sa main en l’air comme pour dire : « Qu’est-ce que cela fait ? cela n’a aucune importance ! »

Oui, on aurait pu dire tout à l’heure que, pendant que je cherchais le fiacre ma grand’mère était assise sur un banc, avenue Gabriel, qu’un peu après elle avait passé en voiture découverte. Mais eût-ce été bien vrai ? Le banc, lui, pour qu’il se tienne dans une avenue, — bien qu’il soit soumis aussi d’ailleurs à certaines conditions d’équilibre, — n’a pas besoin de vie. Mais pour qu’un être vivant se tienne, même appuyé, même en s’appuyant sur un banc ou dans une voiture, il faut une tension de forces que nous ne percevons pas d’habitude plus que la pression atmosphérique, parce qu’elle s’exerce dans tous les sens. Mais peut-être si on faisait le vide en nous et qu’on nous laissât supporter la pression de l’air, sentirions-nous pendant l’instant qui précéderait notre destruction, le poids terrible auquel rien ne ferait plus équilibre. De même, quand les abîmes de la maladie et de la mort s’ouvrent en nous et que nous n’avons plus rien à opposer au tumulte avec lequel le monde et notre propre corps se rue sur nous, alors soutenir même la pesée de nos muscles, même le frisson qui dévaste nos moelles, nous tenir immobile dans une situation stable que nous croyons d’habitude n’être rien que la simple position négative d’une chose, mais