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Page:NRF 12.djvu/262

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Le cavalier se mit à rire.

— Je vois, monsieur, que vous êtes plaisant, et savez la valeur des choses. Mes associés et moi, nous voulons agir rondement avec vous. Voici, ajouta-t-il, en tirant un portefeuille de sa poche, vingt mille livres ; ne nous en demandez pas plus. Cette coupe de bois est une bonne spéculation sans doute ; mais elle deviendrait détestable si votre désistement nous coûtait davantage.

Irnois, malgré l’épaisseur de sa judiciaire, comprit alors que ces affreux scélérats étaient des marchands de bois qui voyaient en lui un adjudicataire rival. En effet, on leur en avait annoncé un. Il s’empressa de prendre les vingt mille livres, plus sa part d’un excellent déjeuner, et il renonça de grand cœur à tout ce qu’on voulut.

Ces vingt mille livres se comportèrent vaillamment dans ses mains. Le gouffre de l’agiotage ne lui engloutit pas le plus mince écu ; il eut beau aller de l’avant avec l’imperturbable témérité de la sottise, tout lui réussit ; et si bel et si bien qu’il fit douter plusieurs fois certains vétérans de la Ferme générale s’il n’était pas un génie financier de premier ordre.

Heureusement pour lui qu’avec ces succès il n’était encore que petit compagnon, lorsque la Révolution arriva. Son humble tête n’appela pas la foudre, dont il eût peut-être mérité les éclats ; il se cacha et avec lui ses pistoles, et il ne sortit de son trou pour friponner la République que lorsque le fort de la tourmente fut passé. Il réussit assez dans le tripotage des assignats ; pourtant ses triomphes dans ce genre ne furent rien, comparés à ses exploits dans les fournitures de souliers ; il avait eu le bon esprit, par couardise, de se mettre à l’abri derrière quelques esprits aventureux, auxquels