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livre le casse-tête à la main, et jonche ses pages de victimes. Ce sont les Châtiments d’un pamphlétaire, et je ne songerais qu’à en admirer le verbe si l’auteur n’expliquait ainsi ses haines : « Certains de ceux que je nommerai ont fait beaucoup de mal à la France. Morts ou vifs, je tiens à les marquer sans miséricorde. » M. Daudet ne confond-il pas un peu ses amitiés et ses haines personnelles avec le bien et le mal qu’on a pu faire à la France ? Tel poète d’Académie est en effet « marqué sans miséricorde. » Quel mal ce barde a-t-il bien fait à la France par ses mauvais vers ? D’autre part M. Daudet écrit des pages toutes de sympathie et d’admiration pour Henri Rochefort. L’homme privé, chez Rochefort, était en effet très sympathique et très noble, serviable et généreux à l’égard d’adversaires. Tout cela n’empêche pas que peu d’hommes aient fait après 1871 plus de mal au pays que ce démolisseur étroit, qui n’eut jamais une idée dans la tête, et qui pendant trente ans intoxiqua, abrutit les Parisiens, en leur faisant prendre des pitreries de vieil enfant pour de la pensée politique. On écrira peut-être un jour l’histoire, encore mystérieuse, des causes qui effritèrent, ruinèrent, effacèrent, durant ces trente ans, le Paris moral et politique du XIXe siècle : il faudra faire une place, dans cette histoire, aux microbes pernicieux et clownesques que furent les premiers-Paris de l’Intransigeant.

M. Daudet offre son livre à la jeunesse d’aujourd’hui, éclairée « par la vérité politique, par la vérité royale, qui précède et commande la quadruple santé militaire, littéraire, scientifique et artistique d’un splendide pays tel que le nôtre. » Je ne combats point, en tant qu’elle est purement politique, la vérité dont parle M. Daudet ; mais ces lignes, ou plutôt ce que je lis entre ces lignes, ne laisse pas de me paraître énorme. Lorsqu’une délégation de l’Académie se présenta, en 1830, à Charles X, le priant qu’il épargnât à la Comédie Française la profanation romantique d’Hernani, la pensée de ces messieurs était exactement celle qu’exprime M. Daudet, sauf qu’ils l’eussent moins bien formu-