Aller au contenu

Page:NRF 12.djvu/335

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

NOTES 329

Un excentrique, tant qu'on veut et plus excentrique que quiconque, cet admirable Toulouse-Lautrec. Comment se fait- il donc que son excentricité à lui soit durable et continue à nous toucher ? Il ne laisse pas une toile " faite ". Il préconise un art d'affiche quand c'est l'opposé que nous souhaitons. Il soumet à l'actualité son génie, et à ce que l'actualité nous offre de plus fugitif. Que nous sommes loin du Moulin-Rouge, du quadrille des Clodoches, de la Goulue et de la reprise de Chilpéric ! Mais quoi, plantés devant son œuvre, espérons-nous échapper à l'objet ? Fût-ce une minute, quelle folie ! Lautrec est là pour nous l'imposer, ou n'est point. Ce n'est pas de son talent qu'il fait parade, mais de son plaisir même en ces lieux de plaisir. Tant pis pour nous, si nous ne le partageons pas ; nous ne saurions nous plaire à sa peinture : car elle ne s'en distingue point. — D'où vient donc que si docilement, si enthousiastes, nous rentrions aujourd'hui à sa suite dans ce siècle si démodé ? Quel est son secret ? Tout humain. Un grand amour, un fort métier. La volonté et le pouvoir de dire tout sur ce qu'il aime — - quoi qu'il aime. C'est ce qui fait le créateur. — Que Lautrec ait adapté l'objet à son génie ou bien son génie à l'objet, peu nous importe, si l'adaptation est parfaite, la compénétration totale. Ah ! on les compte même au cours d'une grande époque, ces minutes de communion entre l'artiste et le réel ! Celle-ci, une des plus singulières, n'aura pas été la moins admirable, car Toulouse-Lautrec, derrière le spectacle, derrière l'apparence, poursuit toujours l'être secret. Nul n'a poussé plus loin l'audace dans le sens de la déformation plastique, nul n'a serré du même coup la réalité de plus près. Il ne tend pas seulement à lui donner un sosie figuré, il veut qu'elle parle. Pour aucun artiste et en aucun temps, ni pour Giotto, ni pour Degas, le dessin n'a été plus délibérément un signe, un langage révélateur... On peut s'extasier sur la virtuosité du trait, sur la plénitude des formes, sur l'imprévu et l'harmonie de l'arabesque dans un tableau comme le Cirque ou le Moulin de la Galette.

�� �