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A LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU 8l

ranger ses affaires dans son sixième, et le maître d'hôtel ayant été chercher du papier à lettres dans une chambre expédiait rapidement sa correspondance préparée.

Malgré la morgue de leur maître d'hôtel, Françoise avait pu dès les premiers jours m'apprendre que les Guer- mantes n'habitaient pas leur hôtel en vertu d'un droit immémorial mais d'une location assez récente, et que le jardin sur lequel il donnait, du côté que je ne conn'aissais pas, était assez petit et semblable à tous les jardins con- tigus ; et je sus enfin qu'on n'y voyait ni gibet seigneurial, ni moulin fortifié, ni sauvoir, ni colombier à piliers, ni four banal, ni grange à nef, ni châtelet, ni ponts fixes ou levis, voire volants, non plus que péagers, ni aiguilles, chartes murales, ou montjoies. Mais un ami de mon père avait rendu quelque individualité à cette demeure déchue en nous disant un jour de Madame de Guermantes : " Elle a la plus grande situation dans le faubourg Saint-Germain, elle a la première maison du faubourg Saint-Germain. " Sans doute le premier salon, la première maison du Fau- bourg Saint-Germain, c'était bien peu de chose auprès des autres demeures que j'avais successivement rêvées.

D'ailleurs mon esprit était embarrassé par certaines difficultés, et la présence du corps de Jésus-Christ dans l'hostie ne me semblait pas un mystère plus obscur que ce premier salon du faubourg Saint-Germain situé sur la rive droite et dont je pouvais de ma chambre entendre battre les meubles le matin. Mais la ligne de démarcation qui me séparait du faubourg Saint-Germain, pour être seulement idéale, ne m'en semblait que plus réelle ; je sentais bien que c'était déjà le faubourg Saint-Germain, le paillasson des Guermantes étendu de l'autre côté de

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