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I080 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

les sentiments de spontanéité, de liberté, d'activité créatrice. Elle tient l'art pour mensonger et fictif. Et, quand elle a brisé le fil qui fait de la conscience comme un collier d'images, elle croit réparer sa maladresse en replaçant bout à bout les images égrenées à l'imitation du contour entrevu ; à moins qu'en désespoir de cause elle ne demande le secret de l'esprit à la physiologie du cerveau. Et il semble ainsi que les pré- dictions de Taine et de Renan s'accomplissent: en s' attaquant à l'âme la science s'attaque à l'art. Les natures délicates s'émeuvent. Elles ont pu assister avec assez d'indifférence au travail sourd qui mine la religion et la conscience morale pour les déposséder de l'explication du monde et des principes de la conduite ; elles ne souffrent pas qu'une atteinte soit portée aux convictions esthétiques, raison ultime de vivre, refuge des sensibilités blessées dans une époque de grande in- dustrie,d'irréligion et de bassesse morale. Aux prétentions de la Science elles opposent leurs impressions avec une gaucherie ingénieuse et une naïveté nuancée de cette sorte de finesse que donne parfois le désir aux plus candides. Symbolistes et décadents s'efforcent d'établir la légitimité de la vision indi- viduelle des êtres et des choses qui s'épanouit dans les poèmes d'Edgar Poe, les portraits de Whistler et le drame musical de Wagner. Cependant ^Guyau proclame, avec la fougue de la jeunesse, les droits de la sensibilité.

La culture de Bergson ne lui permet pas d'être aussi simple. Ravaisson, successeur officiel de Cousin, lui a transmis une doctrine esthétique qui juxtapose la Grèce de Winckel- mann, le néo-Platonisme d'Alexandrie, le Christianisme, la Renaissance italienne et le Romantisme allemand en des improvisations émues pour rendre son immortalité à l'âme et sa profondeur au mythe de Psyché. Par ailleurs il est curieux de mathématique et de physique ; il sait qu'on ne déjoue pas les desseins de la science aussi facilement que le croient les poètes et qu'il est bon d'adioindre aux suggestions intimes

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