Page:NRF 13.djvu/204

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

196 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

des innombrables imprimés. Tout homme moderne est un misérable journal. Et non pas même un misérable journal d'un jour. D'un seul jour. Mais il est comme un misérable vieux journal d'un jour sur lequel, sur le même papier duquel on aurait tous les matins imprimé le journal de ce jour-là. Ainsi nos mémoires modernes ne sont jamais que de malheureuses mémoires fripées, de malheureuses mémoires savatées.

L'illettré des anciens temps lisait au livre même de la nature. Ou plutôt il était du livre même, il était le hvre même de la création. Le lettré de tous les anciens temps était im homme de livre(s) et lui-même il était un ou quelques livres. Le moderne est un journal, et non pas seulement un journal mais nos malheureuses mémoires modernes sont de malheureux papiers savates sur lesquels on a, sans changer le papier, imprimé tous les jours le journal du jour. Et nous ne sommes plus que cet affreux piétinement de lettres.

Nos ancêtres étaient du papier blanc et le lin même dont on fera le papier. Les lettrés étaient des hvres. Nous, modernes nous ne sommes plus que des macules de jour- naux.

Pris d'une sorte de profond effroi devant son métier propre et devant ce que ce métier est devenu et devant la condition faite aux hommes de son temps, l'homme se retourne vers sa race non plus même avec cette secrète joie, non plus même avec ce secret orgueil, mais avec ime peureuse, une timide reconnaissance d'avoir au moins im peu échappé à cet avilissement, c'est-à-dire d'y avoir si longtemps totalement échappé dans le passé de sa

�� �