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Page:NRF 13.djvu/228

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220 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

PÉGUY. — Oui, je me le redis, grand-père, et c'est assurément une belle pensée à remuer dans la solitude de son cœur. Mais il faut bien que je vous le confesse : ce cri qui part de toutes les gorges, maintenant qu'on a les crocs bien plantés dans leurs chairs et qu'on les fait reculer pas à pas — vous verrez qu'on va les flanquer dans la Meuse — ce merveilleux bonheur où les âmes déhvrées tournoient comme des brindilles dans un feu de la Saint-Jean, eh bien! n'est-ce pas, vous le devinez : il me fait chagrin tout de même. Un arbre a du moins la voix de ses feuillages, et je donnerais tout l'éclat que la mienne a pris dans le passé, pour pouvoir entonner maintenant le Te Deum. — Il ne faut pas être rosse pour les confrères, mais enfin il n'y avait que nous deux pour parler dignement de ces grandes choses.

Hugo. — Ceux d'aujourd'hui ont la voix grêle. Je les trouve un peu nains dans ce déchaînement de Titans.

PÉGUY. — Pour ça, vous y allez un peu fort, vieux burgrave. Que diable, nous ne sommes plus au temps des armées de métier. Tous sont partis, je veux dire presque tous. Ils ont été occupés à autre chose qu'à composer des poèmes. Vous savez qu'il y faut du temps et du silence ; et nous pouvons le dire entre nous : l'inspiration, c'est une digestion légère, un juste équilibre entre le travail et le loisir. On n'a pas tout cela facilement dans im gourbi. Il faut être juste, même envers eux, et leur faire encore un peu de crédit. Mais s'ils ne se désenrouent pas quand on sera sur le Rhin...

(Novembre-décembre 1918) jean schlumberger

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