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Page:NRF 13.djvu/257

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NUIT A CHATEAUROUX 249

près desquels il ne se fût accoudé une minute, une seconde s'il était pressé, composant malgré lui son corps sur le leur, se voûtant ; ou bien il se libérait des objets en pro- nonçant en français le nom de leur couleur : rouge, Ten- tendis-je un jour crier du haut du Maximilianeum ; bleu, vert! Et l'écho nous revenait. C'était que Pavel se Hbé- rait, non pas d'un perroquet, mais de Munich tout entière, toits, tramways et arbres, et il descendait tout léger... »

Je n'allai pas plus loin cette nuit-là, Pavel. Le jour me surprit, et j'entrai dans ta chambre. Tu venais du bal Goethe, où tu avais figuré en Goethe centenaire. Fauteuils, tables, ht, tout dans ta chambre était jonché des défroques de la vieillesse, de perruques, de joncs à bec, de culottes puce, de tabatières... Toi, endormi, tu éclatais, tes yeux fermés dans de beaux sourcils neufs : de ce passage dans la vieillesse, il ne te restait qu'un peu de rouge aux joues.

Voilà ton portrait. Et le mien ?

Cher Jean,

Pourquoi me rappelles-tu mes retours du bal masqué ? Pourquoi étions-nous ces jours-là, sous nos loups, si graves ? Pourquoi ne me semble-t-il avoir porté les vérités de notre enfance que sous ces déguisements ? Les balayeuses à jupon vert sous leur chapeau à queue de chamois arrosaient déjà à flots le macadam ; les becs de gaz se reflétaient sur le dernier fond des rues inondées et, dans l'avenue des Théatins, copiée sur Venise, nous paraissions marcher sur les eaux. Un vieux professeur rentrait à la dérobée, et ses lunettes flamboyaient tout à coup — comme les yeux des chats qu'effraie la nuit une

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