RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE 42/
mettre son lecteur en mesure de contrôler cette opinion. C'est en pareille circonstance qu'il faut étaler au bas de ses pages toutes ses notes, toutes ses références. M. Lefranc le fait en gros, non avec le détail qu'on attendrait d'un maître de l'Ecole des Hautes Etudes, Mais enfin lui-même, tout en af&rmant avec intransigeance, nous donne ses deux volumes comme une contribution à une question ouverte, comme une invite aux recherches. Tout cela sera mis au point plus tard. Venons-en au vif de la thèse.
Elle croise deux argumentations : il est impossible que William Shakespeare soit l'auteur de son théâtre ; cet auteur est William Stanley, comte de Derby.
La première est la moins convaincante. Quand on lit le livre où M. Sidney Lee a condensé tout ce que l'on sait ou croit savoir sur la personne de Shakespeare, on s'aperçoit que, les témoignages douteux et les hypothèses de M. Lee éliminées, il ne reste, comme le remarque M. Boulenger, à peu près rien de tout à fait certain. Un homme de Stratford vient à Londres, appartient à une troupe de théâtre, la fournit de pièces, écrit des poèmes, y gagne une petite for- tune dont il va vivre dans son pays natal. Il y a des docu- ments juridiques qui nous le montrent revendiquant assez âprement ses droits et un testament qui ne mentionne aucun livre parmi les biens qu'il laisse. Rien de cela ne montre qu'il était capable d'écrire les pièces qui portent son nom, rien ne montre qu'il en était incapable. « Il en était incapable, dit M. Lefranc, parce que qu'il ne songeait qu'à l'argent, qu'il avait une âme d'usurier ». (M. Lefranc, emporté par son ima- gination combative, ajoute même qu'il était l'homme d'affai- res le plus roué de son temps.) On a déjà objecté à M. Lefranc que beaucoup de grands poètes ont pas mal aimé l'argent et M. Beaunier a parlé à ce sujet de Victor Hugo. La Bruyère s'étonne que Corneille ait écrit de si belles pièces, lui qui était très lourd en société et qui ne s'intéressait à ses œuvres
�� �