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Page:NRF 13.djvu/529

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prospérer et porter ses fruits. Je dirais presque qu’il ne prend de véritable existence qu’au moment où son être individuel vient ainsi se perdre, ou plutôt se retrouver, dans l’être social, et qu’il ne reçoit le signe positif qu’en s’intégrant dans cette entité.


C'est là un fait dont il faut bien comprendre toute l’importance pour l’avenir du monde. Jusqu’ici le socialisme était quelque chose qu’on conçoit, qu’on étudie, ou même qu’on applique. Il existait dans les livres et il y avait des hommes de bonne volonté qui, à grand ahan, s’efforçaient d’en faire passer quelque chose dans la vie. Mais le mal qu’ils se donnaient était si grand, si violente la résistance qu’ils avaient à vaincre et si minces les résultats auxquels ils parvenaient, qu’on pouvait à bon droit se demander si leur doctrine était autre chose qu’une généreuse utopie, si elle était vraiment susceptible d’incarnation.

Grâce aux Russes commence pour le socialisme une ère, non pas certes pratique, non pas de réalisation, mais — ce qui est à la fois beaucoup plus et beaucoup moins — de réalité. Il naît des socialistes, des socialistes tout faits, antérieurs à leur doctrine et qui ne l’adoptent qu’à cause de ses affinités avec leur tempérament. Il naît des gens qui se mettent à vivre — bien ou mal ? dans le bonheur ou dans la misère ? la question reste réservée — à vivre tout de même socialement. Un peuple, sans avoir à se forcer, dépouille toute envie d’être libre ; au moment même où la déconfiture de son « tyran » lui en donne enfin le loisir, il préfère autre chose. Il passe hardiment d’un seul coup par-dessus la phase libérale de l’évolution politique,