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LA SYMPHONIE PASTORALE 765

défendu d'entrer ; mais ce même matin Jacques était parti pour Neuchâtel, où il devait acheter ses chaussures d'excursionniste, et, comme il faisait très beau, les enfants, après déjeuner, sortirent avec Gertrude, que tout à la fois ils conduisent et qui les conduit. (J'ai plaisir à remar- quer ici que Charlotte est particulièrement attentionnée avec elle.) Je me trouvai donc, tout naturellement, seul avec Amélie à l'heure du thé, que nous prenons toujours dans la salle commune. C'était ce que je désirais, car il me tardait de lui parler. Il m'arrive si rarement d'être en tête à tête avec elle que je me sentais comme timide, et l'importance de ce que j'avais à lui dire me troublait comme s'il se fût agi, non des aveux de Jacques, mais des miens propres. J'éprouvais aussi, devant que de parler, à quel point deux êtres, vivant somme toute de la même vie, et qui s'aiment, peuvent rester (ou devenir) l'un pour l'autre énigmatiques et emmurés ; les paroles, dans ce cas, soit celles que nous adressons à l'autre, soit celles que l'autre nous adresse, sonnent plaintivement comme des coups de sonde pour nous avertir de la résis- tance de cette cloison séparatrice et qui, si l'on n'y veille, risque d'aller s'épaississant...

— Jacques m'a parlé hier soir et ce matin, commen- çai-je tandis qu'elle versait le thé ; et ma voix était aussi tremblante que celle de Jacques hier était assurée. Il m'a parlé de son amour pour Gertrude.

— Il a bien fait de t'en parler, dit-elle sans me regarder et en continuant son travail de ménagère, comme si je lui annonçais une chose toute naturelle, ou plutôt comme si je ne lui apprenais rien.

— Il m'a dit son désir de l'épouser ; sa résolution...

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