Page:NRF 13.djvu/97

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

LE CHAGRIN DE LA SÉPARATION ET L'OUBLI 89

se poser pour moi. Quand on aime, l'amour est trop grand pour pouvoir être contenu tout entier en nous ; il irradie vers la personne aimée rencontre en elle une surface qui l'arrête, le force à revenir vers son point de départ et c'est ce choc en retour de notre propre tendresse que nous appelons les sentiments de l'autre et qui nous charme plus qu'à l'aller, parce que nous ne reconnaissons pas qu'elle vient de nous. Le i^r janvier sonna toutes ses heures sans qu'arrivât cette lettre de Gilberte. Et comme j'en reçus quelques-unes de vœux tardifs ou retardés par l'encombrement des courriers à ces dates-là, le 3 et le 4 janvier j'espérais encore, de moins en moins pourtant. Les jours qui suivirent, je pleurai beaucoup. Certes cela tenait à ce qu'ayant été moins sincère que je ne l'avais cru quand j'avais renoncé à Gilberte, j'avais gardé cet espoir d'une lettre d'elle pour la nouvelle année. Et le voyant épuisé avant que j'eusse eu le temps de me pré- cautionner d'un autre, je souffrais comme un malade qui a vidé sa fiole de morphine sans en avoir sous la main une seconde. Mais peut-être en moi — et ces deux expli- cations ne s'excluent pas, car un seul sentiment est quelque- fois fait de contraires — l'espérance que j 'avais de recevoir enfin une lettre avait-elle rapproché de moi l'image de Gilberte, recréé les émotions que l'attente de me trouver près d'elle, sa vue, sa manière d'être avec moi, me causaient autrefois. La possibiHté immédiate d'une réconcihation avait supprimé cette chose de l'énormité de laquelle nous ne nous rendons pas compte — la résignation. Les neurasthéniques ne peuvent croire les gens qui leur assurent qu'ils seront peu à peu calmés en restant au lit sans recevoir de lettres, sans lire de journaux. Ils se

�� �