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AURORE OU LA SAUVAGE 985

et précieuse comme la soie des dirigeables ; on les lit aussi aisément que sur une planche d'anatomie, où ils couvrent nos organes de roses arborescences; reins cambrés où ruisselle l'eau, seins de proue, et, dépouillées par la danse de toute lourdeur, des jambes longues, étirées aux chevilles, évidées à l'intérieur des cuisses, renflées à la souple charnière des genoux.

— Allons Aurore ! hors de l'eau !

Elle se parle ainsi à soi-même comme elle parle à ses vêtements, aux objets. (Une habitude, explique-t-elle, de tous les solitaires qui passent des mois sans voir un de leurs semblables et à qui la voix humaine est nécessaire, comme le diapason de tous les autres sons.)

Elle se tamponne, frottant jusqu'au sang sa figure, sans ménagements. Ni poudre, ni fards, ni parfums.

— Pourquoi riez-vous ?

— Pour la première fois, dis- je, je ris en pensant à un corset, à un faux-col ou à des bottines à boutons...

Il y a dans la pièce une bonne odeur de chair lavée, de savon, d'alcool, de vapeur d'eau. Aurore ouvre la commode où sont rangés, par couleurs, comme au prisme, des rubans, des écharpes : elle met un voile de crêpe de Chine blanc et redescend à l'ateher.

Les papillons de gaz retournent à leurs cocons. Aurore s'enroule dans des couvertures de laine, s'étend sur un matelas jeté à terre. Puis elle s'assure que son revolver est bien sous le traversin. Ses bras et ses épaules nus sortent du lit improvisé. Entre ses cheveux embroussaillés on voit son nez droit. On voit ses yeux. Puis on ne les voit plus.

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