AURORE OU LA SAUVAGE 991
région de hauts lacs, boisée de sapins. A mesure que nous montions, la température s'abaissait. Les indigènes pris de torpeur sommeillaient en marchant. Il me fallait les réveiller à coups de fouet. Creusant des escaliers dans la glace, nous montions toujours...
Aurore montre du doigt le vitrage de l'atelier d'où va tomber, pour quelques heures trop courtes, la nuit. Puis sa main revient à ma main. Pourquoi a-t-elle besoin de la mienne, cette main qui creuse des escaliers dans la glace, qui tord des sous comme de la guimauve ? Voici ses pieds qui n'ont jamais connu que la sandale, qui ont foulé la neige brûlante, le sable rouge du Somaliland et dispersé les palais souterrains des fourmis du Gabon qui, la nuit, s'emploient à scier en deux la terre.
Sur son corps ont passé le gel, le sel, la pluie, la boue, la sueur, les douches, les parfums. Le fer, le plomb, la pierre y ont inscrit des blessures. Je tiens dans mes mains sa tête ronde, dure comme un pavé et dont les cheveux drus n'amortissent pas le contact. Incomparable caresse sur les cheveux coupés courts, touffus, et qui, d'abord étages par les ciseaux, finissent brusquement sur la nuque rasée par la tondeuse. Je me ponce les doigts à son front de granit, puis à ses pommettes saillantes comme des galets. Tandis qu'elle parle, je m'amuse à faire jouer ses bras, ses jambes. Les muscles se déplacent silencieusement.
Aurore est couverte de cicatrices. Une à une je les lui montre et elle exphque. Ici, piétinée par un buffle en Rhodésie ; là, en Caroline, un double saut périlleux avec son cheval sous lequel elle resta pour morte. Ce trou dans la tête, une chute à l'Olympia, au fond d'une trappe.
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