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l62 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

mère comparait l'enfant que j'étais au peuple hébreu, et protestait qu'avant de vivre dans la grâce il était bon d'avoir vécu selon la loi. Je pense aujourd'hui que ma mère était dans le vrai ; n'empêche qu'en ce temps je restais vis-à-vis d'elle dans un état d'insubordination fréquente et de continuelle discussion, tandis que, sur un mot, mon père eût obtenu de moi tout ce qu'il eût voulu. Je crois qu'il cédait au besoin de son cœur plutôt qu'il ne suivait une théorie, lorsqu'il ne proposait à mon amusement ou à mon admiration rien qu'il ne pût aimer ou admirer ilui-même. La littérature enfantine française ne présentait alors guère que des inepties, et je pense qu'il eût souffert s'il avait vu entre mes mains tel livre qu'on y mit plus tard, de Madame de Ségur par exemple — où je pris, je l'avoue, et comme à peu près tous les enfants de ma génération, un plaisir assez vif, mais stupide — un plaisir non plus vif heureusement que celui que j'avais pris d'abord à écouter mon père me lire des scènes de Molière, des passages de l'Odyssée, la farce de Pathelin, les aventures de Sindbad ou celles d'Ali-Baba et quelques bouffonneries de la Comédie Italienne, telles qu'elles sont rapportées dans les Masques de Maurice Sand, livre oii j'admirais aussi les figures d'Arlequin, de Colombine, de Polichinelle ou de Pierrot, après que, par la voix de mon père, je les avais entendus dialoguer.

Le succès de ces lectures était tel, et mon père pous- sait si loin sa confiance, qu'il entreprit un jour le début du livre de Job. C'était une expérience à laquelle ma mère voulut assister : aussi n'eut-elle pas lieu dans la bibliothèque ainsi que les autres, mais dans un petit salon où l'on se sentait chez elle plus spécialement. Je ne

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