Aller au contenu

Page:NRF 14.djvu/176

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

lyO LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

lumière tamisée, tranquille ; la marche au-dessus de celle sur laquelle j'étais assis me servait d'appuie-coude, de pupitre et lentement me pénétrait le côté...

J'écrirai mes souvenirs comme ils viennent, sans chercher à les ordonner. Tout au plus les puis-je grouper autour des lieux et des êtres ; ma mémoire ne se trompe pas souvent de place ; mais elle brouille les dates ; je suis perdu si je m'astreins à de la chronologie. A reparcourir le passé, je suis comme quelqu'un dont le regard n'appré- cierait pas bien les distances et parfois reculerait extrê- mement ce que l'examen reconnaîtra beaucoup plus proche. C'est ainsi que je suis resté longtemps convaincu d'avoir gardé le souvenir de l'entrée des Prussiens à Rouen :

C'est la nuit. On entend la fanfare militaire, et du balcon de la rue de Crosne où elle passe, on voit les torches résineuses fouetter d'inégales lueurs les murs étonnés des maisons...

Ma mère à qui, plus tard, j'en reparlai, me persuada que d'abord en ce temps j'étais beaucoup trop jeune pour en avoir gardé quelque souvenir que ce soit ; qu'au sur- plus jamais un Rouennais, ou en tout cas aucun de ma famille, ne se serait mis au balcon pour voir passer fût-ce Bismarck ou le roi de Prusse lui-même, et que si les Allemands avaient organisé des cortèges, ceux-ci eussent défilé devant des volets clos. Certainement mon souvenir devait être des " retraites aux flambeaux " qui, tous les samedis soir remontaient ou descendaient la rue de Crosne, après que les Allemands avaient depuis longtemps déjà vidé la ville.

— C'était là ce que nous te faisions admirer du balcon, en te chantant, te souviens-tu :

�� �