Page:NRF 14.djvu/204

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

198 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Proust voit toutes choses, et même les extérieures, sous Tangle où il se voit lui-même. Et comme il a pris en lui-même l'habitude de la réfraction, son regard d'emblée décompose, spécifie. Il parvient ainsi, en ne séparant jamais aucun être de son détail, à nous le montrer tou- jours entièrement concret, aussi nourri au dedans qu'au dehors, à la fois étonnant et connu.

C'est la grande tradition classique qu'il renoue ainsi. Racine fait-il autre chose que d'aller chercher autrui en lui-même? Ayant mis un jour son intelligence aux trous- ses de sa sensibilité, peu à peu, par tout ce que l'une gagne sur l'autre, il devient créateur. Et de cette façon seule- ment. Rien par lui n'est suscité d'emblée. C'est par la compréhension, c'est par l'analyse, c'est par la connais- sance, qu'il fait naître peu à peu des êtres différents. Et ces êtres eux-mêmes, s'ils se dessinent aux yeux du lecteur, ou du spectateur, c'est grâce à la continuation en eux de ce progrès de l'intelligence. Le poète du pre- mier coup a tourné le dos à leur totalité, il a refusé l'aspect qu'ils eussent pu prendre ; il n'a voulu que les mieux voir, qu'entrer dans leur âme comme il était entré d'abord dans la sienne, c'est-à-dire tout armé d'attention. Hermione, Néron, Phèdre, d'où sortent-ils peu à peu pour nous, sinon du sein des sentiments entre lesquels on nous les fait voir partagés ? Il n'y a pas ici de création à proprement parler, mais de l'invention seulement, c'est- à-dire quelque chose de trouvé^ d'aperçu, de démêlé, une constatation, et si l'on peut dire, de la conscience d'autrui. Proust, en plus grand, en plus lent, en plus minutieux, en moins dramatique, reprend cette méthode. Il retrouve, en tout, le chemin de l'intérieur. Et non pas, suivant le

�� �