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Page:NRF 14.djvu/240

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234 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

qu'était la grande forêt équatoriale entre Bongo, ma factorerie d'autrefois au temps de Setté-Cama, et Matadi, le Matadi de ce matin. " Ah ! Barraus, pensais-je, Bar- raus et ton grand singe... ! que c'est loin, cette époque...! Il j avait sous la factorerie construite sur de hauts pilotis un petit amoncellement de crânes, de minuscules crânes de singes, ces singes que nous les blancs connaissions sous le nom de " museau bleu " et auxquels les Echiras de la Forêt donnaient le pouvoir d'éloigner les mauvais esprits qui hantent les arbres et dont on entend souvent les voix qui sont tous les bruits de branches lorsque le vent fait hurler la Forêt... L'Echira qui était là, sur le seuil de la chambrée, était venu, bien sûr, à pied de la côte de Setté-Cama à Matadi... de cette côte vide, déserte, sablonneuse et scintillante, toute pareille à un bloc de sel au soleil, où, lorsqu'on prête l'oreille en tournant le dos à l'Océan, on perçoit comme le lointain grincement d'une poutre de bois, le grincement qui est le bruit rassemblant dans l'oreille tous les craquements des branches de la forêt voisine ; de ces premiers arbres de la Forêt jusqu'aux derniers sur la berge du Congo, le fleuve qui ronge les troncs de ses eaux qui sont de l'encre dans la nuit éter- nelle des branches...

" Eh ben ? Quoi ?.. on dort encore ?.. Eh ?.. " Ces mots furent un ressort d'acier qui joua violemment à ma nuque et me fît lever la tête. Herrwhynn, soutenu aux fesses par le bord de son lit, levait le pied droit à la ceinture large ouverte à bout de bras de son pantalon de toile kaki ; sa figure s'était élargie entre l'une et l'autre commissure de la bouche par un rire silencieux qui con- tinuait la phrase.

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