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Page:NRF 14.djvu/422

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4l6 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Ma mère la renseignait avec une patience infinie, puis repartait dans sa lecture. Dix minutes après :

— Et Maurice Démarest, il n'est toujours pas marié?

— Si, ma mère. Celui qui n'est pas marié, c'est Albert. Maurice est père de trois enfants.

— Eh ! dites-moi, Juliette !

Cette interjection n'avait rien d'interrogatif ; simple exclamation à tout usage, par laquelle ma grand'mère exprimait l'étonnement, l'approbation, l'admiration, de sorte qu'on l'obtenait en réflexe de quoi que ce fût qu'on lui dît ; et quelque temps après l'avoir jetée, grand'mère restait encore le chef branlant, agité d'un mouvement méditatif de haut en bas ; on la voyait ruminer la nou- velle par une sorte de mastication à vide qui ravalait et gonflait tour à tour ses pauvres gifles ridées. Enfin, quand tout était bien absorbé, et qu'elle renonçait pour un temps à inventer des questions nouvelles, elle reprenait sur ses genoux le tricot interrompu. Grand'mère tricotait des bas ; c'était la seule occupation que je lui connusse. Elle tricotait tout le long du jour comme eût fait un insecte ; mais comme elle se levait fréquemment pour aller voir ce que Rose faisait à la cuisine, elle égarait le bas sur quelque meuble, et je crois que personne ne lui en vit jamais achever un. Il y avait des commencements de bas dans tous les tiroirs, où Rose les remisait au matin, en faisant les pièces. Quant aux aiguilles, grand'mère en gardait toujours un faisceau, derrière l'oreille, entre son petit bonnet de tulle enrubanné et le mince bandeau de ses cheveux gris jaunâtres.

Ma tante Anna, sa nouvelle bru, n'avait point pour grand'mère l'affectueuse et respectueuse indulgence de

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