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41 8 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

J'ai dit à Rose de garder les gelinottes pour demain. La pauvre vieille était au désespoir.

— Les côtelettes ! les côtelettes ! répétait-elle plusieurs fois, affectant de rire. Des côtelettes d'agneau I II en faut six pour faire une bouchée ! — puis, en manière de protestation, elle se levait enfin, allait quérir dans une petite resserre, au fond de la salle à manger, pour parer à la désolante insuffisance du menu, quelque mystérieux pot de conserves préparé pour notre venue. C'était, le plus souvent, des boulettes de porc, confites dans de la graisse, succulentes, qu'on appelait des « frican- deaux ».

Ma mère, naturellement, refusait.

— Té 1 le petit en mangera bien, lui !

— Mère, je vous assure qu'il y a assez comme cela.

— Eh ! ce petit, pourtant, vous n'allez pas le laisser mourir de faim ? (Pour elle, tout enfant qui n'éclatait pas se mourait. Quand on lui demandait comment elle avait trouvé ses petits-fils, mes cousins, elle répon- dait invariablement avec une moue : « Bien maigres ! »)

Une bonne façon d'échapper à la censure de ma mère, c'était de commander à l'Hôtel Béchard quelque tendre aloyau aux olives, ou chez Fabregas, le pâtissier, un vol- au-vent plein de quenelles, une floconneuse brandade, ou le traditionnel croûtillon au lard. Ma mère guerroyait aussi au nom de l'hygiène contre les goûts de ma grand' mère, en particulier lorsque celle-ci, coupant le vol-au- vent, se réservait un morceau du fond :

— Mais, ma mère, vous prenez justement le plus gras !

— Eh! faisait ma grand'mère, qui se moquait bien de l'hygiène, la croûte du fond...

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