Page:NRF 14.djvu/45

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réalité jamais aimé sa femme. Mais sa thèse fut réduite à néant : en effet, le procureur du roi fit venir témoin sur témoin qui tous déposèrent que ces époux ne vivaient que l’un pour l’autre ; et le prisonnier sanglota plusieurs fois lorsque les témoins rappelèrent des incidents qui lui remirent en mémoire toute l’étendue de la perte irréparable qu’il avait faite. Le jury, après une courte délibération, rendit un verdict affirmatif entraînant la condamnation du prisonnier, mais il admit des circonstances atténuantes, eu égard au fait que peu de temps auparavant le coupable avait pris une forte assurance sur la vie de sa femme, et qu’on pouvait le considérer comme heureux, puisque la compagnie lui avait payé la somme entière sans faire de difficultés, bien qu’il n’eût versé que deux primes.

Je viens de dire que le jury déclara le prisonnier coupable. Or, quand le juge prononça la sentence, je fus frappé de l’entendre réprimander le défenseur du condamné pour avoir cité un ouvrage dans lequel la criminalité des infortunes analogues à celle du prisonnier était atténuée à tel point que toute la cour s’en montra indignée.

— Nous verrons paraître encore, dit le juge, de ces livres malsains et subversifs jusqu’au jour où l’on considérera enfin comme un des axiomes de la morale que la chance est la seule chose qui soit digne de la vénération des hommes. Jusqu’à quel point un homme a le droit d’être plus fortuné