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466 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

monie qu'on ne peut s'empêcher, surtout au sortir de la Boutique Fantasque, de sentir avec satisfaction. Quand le Rossignol tout blanc emmène, captive de son collier, la guenon rouge de la Mort, si cherchés soient leurs pas et leurs attitudes, l'impression est forte rien qu'à cause de l'atroce limpidité dont nos yeux trouvent à s'emplir.

Strawinsky est un prodigieux musicien. Je ne me sens pas en communion immédiate avec certaines des œuvres qu'il a composées pendant la guerre et qu'il nous a fait entendre dans un récent concert Delgrange. Mais aucune ne diminue la confiance que j'ai dans l'auteur de Petroucbka et du Sacre du Printemps, qui restent les deux seules œuvres vraiment grandes qu'on ait vu paraître depuis Pelléas.

A vrai dire, à la première audition du Chant du Rossignol, je me suis senti repris par le malaise que je décrivais ici même, en juillet 1914, au moment où l'œuvre venait de voir pour la première fois le jour sous la forme d'opéra ; elle m'est apparue de nouveau trop étranglée, trop lente et trop courte à la fois, trop constamment animée de suicide. Mais je l'ai réentendue, et sans pouvoir me débarrasser complètement de ma gêne, je suis devenu plus sensible à l'extraordinaire qualité de son détail.

je ne connais rien de plus étonnant que la tranquillité de Stra- winsky en face des sombres oiseaux que lâche un par un la cage de son esprit. Comment n'a-t-il pas peur ? Chacun s'avance tour à tour dans le vide de l'orchestre, sautille, tourne, bat un peu des ailes, chante un instant sans écho et périt. Il y a des gouffres de silence, où tournent d'étranges vibrions. Tout à coup, tout se met marcher à la fois, comme les palettes d'un moulin, comme les mille marteaux d'une usine ; les instruments les moins affiliés d'avance démarrent en troupe, s'arrangeant ensemble en cours de route, en bons camarades. Puis, une aigre et rase mélodie chemine un instant toute seule, s'aidant d'on ne sait quelles petites pattes sous le ventre. Et, de nouveau, plus rien : la musique reprend la forme du silence; l'orchestre montre ses intestins; les sons s'évasent, nous absorbant au fond d'une cuve monstrueuse, où nous serons soumis à tout un système de supplices espacés.

La liberté formidable dont profitent aujourd'hui avec goût,

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